Dans les flottements de l’apparition

07 1 - texte Guittier

Trois enclos.

Sur une assise tranquille. Envoilés de tarlatane : un enrobement qui tomberait bien, sans pesanteur aucune. Posés au sol dans un évasement léger.

Trois abris provisoires – construction de transit – trois moments suspendus d’un mouvement plus large : une déambulation à deux ;

De ce déplacement latent, la tente fut en son temps la figure première à moins que ce ne fut le panneau coulissé. Quoi qu’il en soit la forme est généreuse. Ample et pyramidale, elle rassemble en son sein des images comme certaines madones le feraient des fidèles, chez Piero, sous leur manteau, dais ou baldaquin. L’échancrure dans le voile conduit à ce rappel furtif, un visage épuré aussi. Mais l’entrebâillement s’arrête là.  L’ouverture ne peut se faire. L’entrée n’est pas possible. Le regardeur restera à l’extérieur, à distance telle la caméra de Visconti empruntant les jumelles du professeur Aschenbach pour suivre, souple et lente, l’évolution de Tadzio sur la plage, parmi les cabines de bain, dans les couleurs surannées, les sourires doux et les rires cristallins. A l’écart, donc. Un monde d’écrans, des bulles de mémoire. Dans cette architecture transparente,l’image se montre et s’esquive. Faisant fi des limites en l’absence de support – ou plutôt, profitant de son effacement – elle recompose avec d’autres des fragments de récits, coulissent, s’interpénètrent, filent, floutent, bruissent, installent une autre visibilité, un univers de rêverie, des séquences de vie. D’une vie à deux qui pourrait être nôtre. D’instants qui appartiennent à tous : l’envol d’un oiseau, le ressac de la mer, un déplacement d’air, un visage rencontré, le souffle d’une voix..

Trois chambres claires. Installées dans un espace de lumière. Montées à deux pour « faire grand » – disent-ils -, « encombrant » – dit l’exposition -,mais surtout pour sortir de son champ, bousculer le lieu, inverser le dehors- dedans, dépasser les limites, instaurer un climat. Faire escale, faire œuvre commune. Pas si simple ! Elle est plasticienne. Il est photographe. Faire ensemble dérange les pratiques, inverse le processus habituel. Etre couple facilite peut-être la tâche, suggère la connivence : les Guittier comme on dirait les Poirier (qui, soit dit en passant, font aussi travail de mémoire). Alors, faire écho. Lier le film et le velum. Coudre et cadrer, révéler et recouvrir, permettre des traversées. Nouer l’ombre et la lumière en un dialogue amoureux. Suspendu dans la sérénité.

Marie- Luce Thomas, octobre 2002.

Pour Roselyne et Jacques Guittier, exposition collective » Encombrant » , galeries Chabrier, Saint Pierre des Corps, 2002.