Dis, c’est comment là-haut ?

Marie-Luce Thomas, janvier 201206 1 -texte Tanchou_2

06 2 - texte Tanchou

Intense : des surfaces bleues. Et quelques formes minérales : peu.

Le polyèdre de Dürer a quitté les rivages de la Mélancolie pour rejoindre l’éther. L’avion de Kieffer l’y a peut-être aidé … (1). L’évocation s’arrête là. Car point de géométrie rigoureuse dans l’univers de Yolande Tanchou mais des figures érodées, bosselées, usées. Blocs, roches, cristaux … Solides : c’est ainsi qu’elle les nomme. Dans l’espace clos qui les contiennent et nous absorbent dans le même temps, car faible est la distance qui nous sépare de la chose observée, les formes se placent et s’imposent, présences hypnotiques à la fois étranges et familières. Souvent pleines, ellesobturent le champ du tableau. Parfois tronquées au bord du cadre, elles ouvrent un espace de circulation où le hors champ entre en scène. Se dessine alors un déploiement de l’infini, une ouverture sur l’ailleurs. Passages, déplacements des masses qu’on imagine lents parcourent l’ensemble, s’arrêtent le temps de former une peinture, se figent en constellations particulières à 4, 2 ou 3 éléments. L’un d’eux peut se trouver seul : à lui donc tout le plan. Solide et magistral, il bruisse alors  de l’inaudible grondement du vide sidéral.

II n’y a rien d’autre si ce n’est d’énigmatiques cristaux en suspens dans le bleu.   Les toiles jouent à « chat ». Une nouvelle série voit le jour.

Radicale. Au sceau d’une tension  picturale. Extrême.

Une série nouvelle advient. Ici, la grammaire du peintre se mobilise dans l’élaboration d’une palette abrupte et construit une rhétorique des contraires qui se frottent avec une rare violence. L’étendue bleue au comble de sa saturation s’oppose à l’enveloppe délicatement grise des comètes. Paradoxalement elle repousse autant qu’elle donne corps. Les glacis transparents finement nuancés provoquent l’espace opaque dont les zones noircies obligent à l’éclat la lumière des roches. Contre-jour, scintillement des lisières, miroitement des facettes, autant de manifestations d’une lumière sans source qui transforment ces amas en lanternes sans poids. Va et vient de lucioles qui, à la moindre halte, enluminent les lieux.

Une cosmographie émerge sous nos yeux. Des formes surgissent du noir, captivent notre regard qui ne peut s’y soustraire. Sidération. L’imaginaire peine à sortir des cieux. Comètes parmi les comètes, sommes-nous conviés à l’odyssée d’un espace sans attente d’événement ? Ces frôlements silencieux de fragments blêmes éclipsent-ils une menace ? Les temps s’y prêtent : le film Mélancholia en est un exemple. D’autres questions sont possibles. Sans doute faut-il voir ces peintures non comme métaphores mais comme peintures plus simplement. Faire naître un autre monde. Régler un ballet onirique. Se surprendre. Faire rupture dans son cheminement artistique?

Intermède (bref)

Happy Child (2). Un moment dense au cours de la pièce: des monceaux de vêtements tombent d’un coup des cintres aux pieds des acteurs alignés. Chacun s’en revêt jusqu’au grotesque et, pour finir, se pare d’une couverture. Ainsi, pareillement drapés déclament-ils Shakespeare, Le roi Lear.. Surgit alors un arbre porté par l’un d’eux :   brusquement hommes  et couvertures roulent et se figent en rochers à l’exacte place des rochers du Christ au jardin des oliviers de Mantegna. Arrêt sur image. Fragments hétérogènes, associations d’idées, enchaînements, métamorphoses : une parfaite illustration de la plasticité de la pensée créatrice, une visualisation du processus à l’œuvre… Un flux  devenu homogène.

Rupture,                                                                                                      certes pas.                                                                                                                          

Le détour s’accorde au trajet du peintre. Une image neuve a surgi mais garde dans sa chair les traces de pièces anciennes. Persistance de liens qui permettent le rebond : le sable de la Loire sourd des  mailles de la toile; failles et fentes structurent les abysses comme les « couloirs d’écoulement »  traversaient les grands flux colorés. Et les cailloux qui s’y trouvaient lovés prennent leur indépendance et conquièrent le cosmos. Ainsi, dans le déroulement des œuvres, passons-nous des racines de l’arbre , mémoire de la terre, à la roche première, et des houppiers aux profondeurs de l’éther. Ce vide qui fonde aussi bien les collages surréalistes des débuts que la peinture d’aujourd’hui. Une avancée par échos et glissements sensibles. Vers une « alchimie des solides ».

Le polyèdre de Durër manifestait les aspirations de l’époque : aspirations à la connaissance, avec la géométrie comme clef de la conquête du monde. Yolande Tanchou dans son exploration de la peinture poursuit sa propre quête, un questionnement du monde, une connaissance de soi.. Un appétit des cycles de la vie.

Epilogue.

« Il n’y a rien de caché. Aucun secret, aucun mystère, aucun sens qui nous précéderait – il n’y a rien derrière le monde qui est. Mais il y a le monde, il y a la venue de tout avec tout au monde, et cette œuvre est le sens. »(3)

Marie-Luce Thomas, janvier 2012.

1- Melencolia 1, gravure1514, Albrecht Durër (1471-1528) revisitée par Anselm  Kieffer (1945)  dans la sculpture nommée Melancholia,1989.

2Happy Child, création théâtrale 2011, Compagnie Nathalie Béasse.

3Météoriques, Gérard Haller, poésie Seghers, Paris 2001.

Exposition Yolande Tanchou, salles Chabrier, St Pierre des Corps. 2012.