De l’arrangement entre la lumière et l’ombre

Pavillon Ch. X, St Cyr/ Loire, nov. 2004. (voir rubrique textes)

De l’arrangement entre la lumière et l’ombre

Voici un double pas fait, qui n’est pas quelconque. Il ne s’agit pas tant de fabriquer des images que de s’autoriser à œuvrer dans le champ de l’art sans se trahir soi-même ni trahir les indélébiles conquêtes de la modernité. Il ne s’agit pas non plus de chercher une grille d’interprétation des œuvres quand il convient d’abord d’apprendre à les lire.

Ce jeu de transparence et de frémissement parfois appuyé sur l’opaque (plaque de métal entrant dans le jeu des miroitements), au centre duquel apparaissent le bruissement et les malices d’une facture extrêmement distinguée, libère encore l’image du tracé de référence. Car l’impulsion vient d’ailleurs. Dans l’ordre de ce travail, elle est une puissance qui raffine les rapports, les écarts et les intervalles aériens. Et, s’il est permis de chercher des idées dans l’arrangement du travail, des idées qui entrent en matière, on peut dire que les plis nombreux de la facture confortent l’unité d’une image vouée à la vivante énigme de la transparence.

Cependant, cette masse de traits, cet ensemble de bourdonnements, ces gestes relatifs à un agencement ou à un abandon, tout révèle un style qui se libère simultanément de la tâche d’entretenir pour autant cette mémoire moderne. Loin qu’il s’agisse de désespérer de l’avenir, nous sommes appelés à nous confronter à ces produits d’un faire qui donne un plus haut prix encore à l’étonnement d’aborder à neuf les surprises et les ruses de l’art. Rien n’est plus redoutable pour le spectateur que de chercher cette complicité singulière où l’œuvre use à son profit des forces qui l’englobent.

La nature n’est plus là, on le sait. Il n’est pas question d’en repiquer le modèle. La modernité s’achève. Il n’est pas non plus question d’en entretenir le feu, sinon pour sa propre sûreté. Dès lors, il s’agit plutôt d’obéir à des expériences et des conquêtes de notre esprit et de nos mains que des développements sensibles abandonnent à nos regards. Le pouvoir à l’œuvre triomphe des combats perpétuels de l’ombre et de la lumière, de la transparence et de l’obstacle, de la chair de la lumière en somme.

Par exemple, les transparents qui sont parfois exposés en pleine nature. Après avoir été découpés, ils sont offerts pour que l’image se fabrique et demeure éphémère. D’un matériau réfléchissant, travaillé en enlevant le « en trop », il devient nécessaire de faire apprécier sa puissance d’engendrement. Le dessin évasé propose des formes de rinceaux, laissant à la platitude de la sculpture le soin d’engendrer l’image dans l’image ou avec l’image. L’irrégulier peut s’y produire qui distancie le spectateur de son habitude de bien voir, trop bien, c’est-à-dire si mal.

Enfin, le déroulé de l’œuvre que toute exposition signale fait intervenir par un signe évident de sa présence la perspective générale d’une inquiétude de la fragilité, de l’instant surpris et suspendu. Une poésie du vagabondage, sans doute. Surtout si les accords découverts dans chaque œuvre et entre les œuvres règlent le mouvement global d’un travail qui ramène sur le devant de la scène une consolation ingénieuse qui peut tout pacifier sans trop de sacrifice.

Christian Ruby,

Novembre 2004.